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Le blog-notes de Corinne Lepage






Dans un article paru le 21 octobre dans Le Figaro, Luc Ferry me qualifie de « belle âme » pour avoir fustigé la fondation Allègre et soutenu que le livre de Luc Ferry le nouvel Ordre écologique nous avait fait perdre 20 ans.

Je persiste, je signe et je confirme.

Oui. Un esprit aussi affûté et brillant que celui de Luc Ferry, dont un classement récent en fait un des intellectuels qui a le plus de poids sur l’opinion publique, ait été depuis 25 ans un adversaire résolu de la pensée écologique qu’il affecte de ne pas comprendre, a contribué au retard colossal de la France dont la communication du Grenelle n’a dans la réalité pas changé grand-chose. Le fait que les ¾ des Français considèrent que le Grenelle est un échec atteste à la fois qu’ils ne sont pas dupes et que les mesures annoncées participent davantage de la communication que de la réalité. La cause en vient de la répulsion de la majeure partie de la droite pour les questions écologiques, qui remettent en cause leur doxa, que la pensée de Luc Ferry vient consolider. A coups de citations tronquées et d'interprétations biaisées, le livre de Luc Ferry, paru en 1992, ne fait rien de moins qu'assimiler l'écologie à un délire romantique anti-libéral et anti-humaniste dissimulant pétainisme, fascisme et stalinisme.

Oui, la fondation Allègre est financée par certains lobbys qui se battent pour pouvoir continuer de polluer en rond, utiliser les ressources communes sans en assumer aucune charge et mettre sur le marché des produits et technologies qui peuvent être toxiques à terme sans faire les études préalables et surtout sans en assumer la responsabilité éventuelle. Oui, certains d’entre eux participent de la sphère des climato-sceptiques dont Claude Allègre est devenu le porte-étendard gonflé à l’hélium médiatique en France. Ce sont précisément ceux dont le Réseau Action Climat affirme, preuve à l’appui, qu’ils ont financé les sénateurs américains niant le changement climatique et militent en Europe pour que rien ne soit fait. La courroie de transmission est probable… Alors, comme Luc Ferry, je souhaite et travaille depuis plusieurs décennies à des rapports sains entre science, économie et écologie, mais visiblement nous ne partageons pas le même objectif. La science dont nous avons besoin, c’est évidemment d’abord celle de la recherche fondamentale qui assure le progrès des connaissances. C’est aussi une science qui accepte de remettre en question, par de la recherche sur les effets qu’ils soient sanitaires, environnementaux ou socio-économiques, les technologies qu’elle permet de produire. Mais c’est surtout une science qui appelle la confiance dans ses affirmations parce qu’elle n’a pas défini a priori ce qu’elle prétend prouver afin de satisfaire ses sponsors. Le cumul du scientisme qui considère que la science apportera toutes les solutions et que le progrès technologique est bon en lui-même, et du lobbysme via les fondations et les think thank n’a plus guère à voir avec la rigueur scientifique.

Oui, plus que jamais, à l’heure où la confusion la plus grande règne dans les organes d’expertise scientifique en raison de conflits d’intérêt si patents qu’ils ne peuvent plus être dissimulés, à l’heure où le doute a envahi la société qui n’a plus aucune confiance dans ses scientifiques comme dans ses politiques ou dans ses journalistes, ce nouveau lobby climato-sceptique, scientiste et décidé à s’attaquer à l’écologie pour mieux défendre les thèses de ses grands donateurs, bienfaiteurs de l’Humanité, va avoir pour seul effet de décrédibiliser un peu plus le monde scientifique dans son ensemble, de conforter le retard français dans toutes les nouvelles filières de l’économie verte et d’accroître en définitive le pessimisme ambiant.

Oui, les esprits intelligents qui se sont laissé abuser par l’initiative Allègre seront les « idiots utiles » d’une entreprise qui tourne le dos aux principes qu’elle prétend incarner. Lorsque l’Histoire, nos enfants, voire nous-mêmes jugeront de ceux qui auront contribué à retarder, même à empêcher que les mesures nécessaires soient prises pour éviter la catastrophe climatique, il sera trop tard pour fuir leur responsabilité et regretter d’avoir oublié les leçons du pari pascalien. Mais hélas, il sera trop tard aussi pour leurs victimes.

Voir l'article du 30 juin 2010 sur le site actu-environnement.com