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INTERVIEW DE TAOUFIK TSOUAMI

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Taoufik Tsouami, enseignant chercheur à l'Institut français d'urbanisme et consultant auprès des collectivités, a étudié en profondeur les écoquartiers du Nord de l'Europe. Fort de son expérience, il propose un autre regard sur les écoquartiers.

Quels sont, selon vous, les exigences minimales auxquelles doit répondre un écoquartier ? Il me semble que cette question reflète une approche française, erronée, de ce que doit être un écoquartier. Aujourd'hui, si les collectivités françaises veulent faire des écoquartiers, c'est parce qu'elles ont vu ce qui s'est fait plus au Nord, il y a déjà plusieurs années. Mais ces modèles du Nord de l'Europe ont aussi un effet paralysant car, de France, on ne regarde que le résultat. Alors, à travers le prisme du nord de l'Europe, les projets français de quartier durable nous apparaissent ridicules. Avec le regard focalisé sur les performances, on oublie de voir l'essentiel : le processus de fabrication. Il y a derrière cette approche une sorte d'élitisme consistant à vouloir instaurer un modèle de quartier durable. La question à se poser est : quelque soit ce qui constituera votre écoquartier, en quoi saurez-vous le capitaliser. L'écoquartier, pour être considéré comme tel, doit s'inscrire dans un processus plus large qui se déroule à l'échelle de la ville.

Qu'entendez-vous par capitaliser ? L'écoquartier est le lieu de formation le plus efficace, bien plus que les établissements académiques. Il doit être prévu, en amont, comme un lieu de transfert de compétences. Cela passe par exemple par un choix intelligent des équipes de maîtrise d'œuvre. Il faut choisir un bon mix entre bureaux d'études régionaux et internationaux, pour que les acteurs locaux puissent acquérir des compétences qu'ils pourront réutiliser sur d'autres projets. On peut aussi

Quels autres conseils donneriez-vous aux collectivités qui souhaitent concevoir un écoquartier ? Une maîtrise d‘ouvrage composite est indispensable à la réussite d'un projet d'écoquartier. Depuis les années 80, on constate un élargissement de la composition des équipes de maîtrise d'ouvrage. Aux collectivités et aménageurs, on voit s'associer des promoteurs, des opérateurs de services urbains, des entreprises de fourniture d'énergie et de communication. Cette mixité des intervenants en amont d'un projet doit être exploité au mieux afin de déboucher sur du « sur-mesure technique ». Mais on peut aller encore plus loin. Par exemple, à Berlin, dès la fin des années 80, pour la rénovation de bâtiments squattés et délaissés par les propriétaires, la ville a mis en place une fiduciaire atypique. La structure comprenait notamment les propriétaires, les coopératives de logements sociaux et une association de résidents occupants.

Un financement symbolique est aussi primordial. Autrement dit, pour lancer un projet de quartier durable, il est important d'obtenir un premier financement public plus qualitatif que quantitatif. Une fois que l'Union européenne accorde un solde pour financer les aspects environnementaux du projet, il est plus facile d'aller en obtenir ailleurs. C'est un gage de qualité du projet.

La communication est aussi primordiale. Plutôt que de recouvrir un projet de « fard à joue » il faut pouvoir communiquer à l'image d'une « boule à facettes », dans laquelle chacun peut voir ce qu'il a envie d'y trouver. En France on a tendance à dresser la vitrine avant de la remplir. Mais les gens ne s'y trompent pas. C'est, par exemple, ce qui a été reproché à la ZAC du théâtre à Narbonne.

Autre point, le suivi du chantier permet au projet de réellement aboutir. Il faut vérifier que les objectifs environnementaux sont maintenus à toutes les étapes : conception, construction, livraison.

L'émergence des écoquartiers ne nécessite t-il pas aussi que les métiers de l'aménagement et de la construction évoluent ? Les environnementalistes doivent rompre avec l'approche classique consistant à opposer la nature à l'urbanisation. Aujourd'hui, il faut comprendre que la ville peut rimer avec biodiversité.

Les architectes ont tous les 20 ans une levée de boucliers. Aujourd'hui, ce sont les objectifs chiffrés liés à la montée en puissance de la construction durable qui leur font dire que leur créativité est réprimée. Il faut qu'ils rompent avec cette position.

Quant aux urbanistes, ils sont confrontés à une variété de nouveaux territoires urbains que l'on ne sait même pas nommer. Cette diversification des espaces soulève le problème de l'écoquartier modèle. Par exemple, on ne peut pas exporter un quartier durable urbain en zone périurbaine. Les modes de déplacements doux ont-ils un sens pour quelqu'un qui s'est installé en milieu rural ? C'est pourquoi, les urbanistes vont devoir complexifier leur vision des territoires.

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Source: LE MONITEUR via Cap21