Par DOMINIQUE VOYNET maire de Montreuil (Europe Ecologie- les Verts) et ex-ministre de l'Environnement


016c.jpgLa messe est dite. Les écologistes auraient, selon divers commentaires, troqué leurs convictions contre des circonscriptions, leur vertu indignée contre des sièges de députés. Hier désintéressés, les voilà d’un coup transformés en politiciens sans foi ni principe. L’argument ? Dans l’accord conclu entre les socialistes et les écologistes ne figureraient pas la sortie du nucléaire et l’abandon de l’EPR de Flamanville (Manche). Examinons donc, sereinement, cette interprétation des choses.

Il est d’abord assez piquant de voir ceux qui moquaient hier l’immaturité adolescente des écologistes s’indigner qu’ils prétendent désormais en sortir. Comme si les écologistes devaient respecter ad vitamaeternam une sorte de loi fondamentale qui leur dirait : «Vous êtes sympathiques et originaux, vous apportez un vent de fraîcheur bienvenu sur la politique, mais jamais vous n’exercerez le pouvoir». Les seuls qualifiés pour ça sont ceux qui l’ont déjà ou l’ont déjà eu. Ils nous ont conduits là où nous sommes ? Qu’importe ! C’est à eux qu’il revient de piocher dans votre projet - novateur mais dérangeant - une dose acceptable d’écologie. Des parlementaires ? Vous n’y pensez pas. Ce qui coule de source pour le PS et l’UMP sonne comme une revendication politicienne pour des écologistes.

Le même procès en illégitimité s’exerçait hier à l’endroit du PS, longtemps suspecté d’irresponsabilité ontologique. Bref, d’inaptitude à l’exercice. Les socialistes, depuis 1981, se sont libérés de ce soupçon. Les écologistes pas encore, malgré la légitimité acquise par leur travail dans les exécutifs locaux.

L’un des enjeux de 2012 est, selon moi, d’en finir avec cet interdit. Nous n’avons pas à nous excuser de prétendre à des responsabilités auxquelles d’autres auraient droit «naturellement». A dire vrai, là où des écologistes ont été appelés à participer à des gouvernements, ils se sont aussi bien que d’autres acquittés de la tâche, faisant preuve de clairvoyance et ne se laissant pas intimider par les lobbies qui sapent l’autorité publique ou par les retournements occasionnels des sondages d’opinion.

Second procès : les écologistes auraient échangé des centrales nucléaires contre des circonscriptions. C’est évidemment absurde. En vérité, ils ont gagné sur les deux tableaux. Sur la réorientation nette de la politique énergétique française, et sur une présence réelle à l’Assemblée nationale. Sur les engagements, et sur les moyens de veiller à leur application. Voilà ce qui agace à la fois toute la droite et ceux qui, à gauche, demeurent scotchés à un modèle en voie d’effondrement et à leurs alliances anciennes.

Que dit ce texte en matière nucléaire ? Que, d’ici à 2025, soit sur une période de treize ans, une majorité de la gauche et des écologistes fermeront vingt-quatre réacteurs nucléaires, «en commençant par l’arrêt immédiat de Fessenheim (Haut-Rhin) et ensuite des installations les plus vulnérables». Qu’aucun nouveau projet de réacteur ne sera initié. Que le projet d’EPR de Penly (Seine-Maritime) sera abandonné. Qu’une stratégie nationale pour l’efficacité énergétique visera à réduire la consommation d’électricité et, partant, les besoins de production électronucléaire. Vendus pour un plat de lentilles ? On ne voit pas bien, dans cette liste, ce qui pourrait justifier l’accusation. Au-delà de l’EPR de Flamanville, sur lequel les écologistes et les socialistes n’ont pu que «prendre acte» de leur désaccord, il s’agit bien de construire, sans parler dès aujourd’hui de «sortie du nucléaire», les conditions permettant d’y parvenir dans les faits.

Pour qui attache, comme moi, plus d’importance a la réalisation des choses maintenant qu’à la promesse de leur irruption magique sur la scène de l’histoire un jour, ce texte-là constitue un très solide point d’appui. Cela ne nous empêchera pas de poursuivre notre travail, plus que jamais nécessaire, pour convaincre nos partenaires qu’il faut arrêter la construction de l’EPR, pour des raisons de sûreté, de logique industrielle et de réalisme budgétaire, et convaincre la société française que non seulement on doit, mais on peut sortir du nucléaire, de manière responsable et raisonnable. Que ce choix sera bien plus créateur d’emplois - et d’emplois durables - que ne le sera jamais l’industrie nucléaire. Quoiqu’en dise Nicolas Sarkozy - et la voix du candidat UMP de demain, déjà, masque celle du président d’aujourd’hui - la sortie progressive du nucléaire ne débouchera ni sur un cataclysme économique ni sur un effondrement social, moins encore sur un retour à l’âge de pierre ! En anticipant des changements qui sont déjà à l’œuvre, en prenant acte de ce qu’une politique industrielle pour demain ne peut pas s’appuyer sur la nostalgie d’hier, il s’agit au contraire de préparer, pour les salariés du nucléaire, un autre destin que celui qui fut réservé, faute d’anticipation, faute de lucidité, aux sacrifiés de la sidérurgie.

La France est de plus en plus isolée dans le monde sur sa défense intransigeante de l’atome. Partout en Europe, on le sait : la raison n’est pas du côté de ceux qui réduisent un débat complexe à des caricatures outrancières, à des préjugés jamais questionnés. La brutalité sidérante des attaques présidentielles en dit long sur le désarroi de Nicolas Sarkozy et sur son incapacité à, simplement, ouvrir les yeux sur les faits. Dans la campagne présidentielle, Eva Joly portera cette nécessité d’aller plus loin, car le monde et l’économie de demain ne seront pas la répétition du monde et de l’économie d’hier. En proposant aux Français les solutions des écologistes, et en rappelant que, sans rien renier de nos convictions, nous sommes prêts, désormais, à gouverner, c’est-à-dire à mettre nous-mêmes en œuvre les politiques que nous proposons pour agir, vraiment, à la hauteur de l’époque.