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PROPOS RECUEILLIS PAR BÉRANGÈRE BARRET
berangere.barret@nordeclair.fr

Publié le mardi 01 février 2011

La députée européenne des Verts-Europe écologie et ancienne élue d'Arras est revenue de Tunis vendredi. Elle y était avec Éva Joly pour rencontrer des assos, des syndicats, magistrats... Militante de la première heure pour la cause du peuple tunisien, Hélène Flautre revient sur la situation actuelle du pays.


Vous connaissez bien la Tunisie, depuis plusieurs années. Y avez-vous un attachement personnel ?

Je suis la situation au Maghreb depuis 1999, depuis ma première élection (en tant que députée européenne, ndlr). Aujourd'hui, je suis membre de l'assemblée parlementaire euro-méditerranée. J'ai construit des liens en Tunisie au fil de mon travail. Au Parlement européen, on m'appelle Madame Tunisie !

Avec quels sentiments revenez-vous de ce dernier voyage ?

Le pays a complètement changé. Avant, les gens s'affairaient, le regard fuyant... Là, ils discutent, on sent une effervescence, de la gaîté. Un soulagement. Il n'y a plus ces photos de Ben Ali qui vous pistaient partout. Avant, quand j'étais en Tunisie, j'étais illico entourée de flics car ils me connaissaient, j'étais pistée, des photos diffamantes de moi avaient été diffusées dans les journaux... Alors que cette fois-ci, je suis sortie rapidement de l'aéroport, sans fouille. En même temps, il ne faut pas oublier qu'il y a encore un couvre-feu, des chars et des soldats dans les rues.

Comment va évoluer la situation, selon vous ?

Le gouvernement de transition n'exalte personne. Il y a encore des manifestations car les gens ne supportent pas la présence de Ghannouchi (déjà Premier ministre sous Ben Ali, ndlr). Et plusieurs anciens membres du parti de Ben Ali essaient de se recycler... C'est pour cela que les commissions créées, notamment celle luttant contre l'impunité, sont importantes, il faut les soutenir. Il faut que les principaux responsables du régime de Ben Ali soient jugés. Et puis, la phase de transition démocratique nécessaire à des élections libres et transparentes, qui pourraient avoir lieu d'ici 6 mois, un an, se met en place. Il y a plusieurs chemins possibles. Tout reste à faire, la société était totalement gangrenée par la pieuvre benaliste.

Que doit faire l'Union européenne (UE) dans ce contexte ?

D'abord, changer d'interlocuteur, car l'actuel représentant de l'UE en Tunisie négociait avec Ben Ali, et ne soutenait pas du tout les défenseurs des droits de l'Homme. Ensuite, l'Union européenne a proposé une mission d'observation électorale, mais ce n'est pas suffisant, il faut aussi redéployer l'argent de la coopération sur les libertés : liberté d'expression, indépendance judiciaire, législative. Cela peut passer par un soutien aux radios, journaux, aux projets citoyens. Par ailleurs, il faut réorienter le programme de modernisation de la justice, soutenu avant même la chute de Ben Ali par l'Union européenne, vers l'indépendance. Poursuivre ce programme sans le changer, c'est donner des moyens supplémentaires à un système corrompu. Il faut tout changer pour élaborer les conditions d'une justice indépendante.

Comment expliquez-vous que l'Europe ait fermé les yeux aussi longtemps sur le régime de Ben Ali ?

En 2000, la grève de la faim de Taoufik Ben Brick avait commencé à effriter l'image du régime de Ben Ali. Mais les attentats de 11 septembre 2001 ont tout changé, tout ce qui avait été gagné pour rendre compte de la réalité de ce pays est tombé. En outre, après l'attentat de Djerba en 2002, la police tunisienne avait retrouvé le portable du kamikaze, contenant des informations essentielles, notamment le numéro de téléphone d'un organisateur de l'attentat du 11 septembre. La police tunisienne a donné ce portable aux services secrets européens, en échange d'un blanc-seing sur les droits de l'Homme... La coopération en matière de lutte contre le terrorisme a été le fondement de la position complice avec le régime de Ben Ali. Régulièrement, le Parlement européen a refusé nos propositions de résolutions qui disaient qu'on ne pouvait pas continuer de négocier avec la Tunisie. Il n'a adopté une résolution qu'après la chute de Ben Ali.

Qu'avez-vous pensé de l'attitude de la France durant la révolution tunisienne ?

Minable. J'ai eu honte. Ce fut même une attitude coupable dans le cas de Michèle Alliot-Marie (qui a proposé d'aider les forces de police tunisiennes, ndlr). Elle a pris l'approche du gouvernement tunisien, c'est-à-dire une approche sécuritaire.

Quel regard portez-vous sur la situation en Égypte ?

Moubarak va partir, c'est acquis. Ce qui se négocie là, c'est son départ. Barack Obama a joué un rôle important, comme en Tunisie d'ailleurs. Il a rencontré des hauts militaires égyptiens. Attention, ce n'est pas une révolution américaine. En Tunisie ou en Égypte, ce sont d'authentiques soulèvements populaires. Mais il y a des éléments, un contexte du changement, qui nécessitent des discussions.

Et le rôle de Barack Obama est, à ce niveau, important ?

Oui. Obama a depuis le départ une perspective de démocratisation dans la région - ce qui n'était pas forcément la position européenne. S'il n'avait pas été là, ça ne se serait peut-être pas passé comme ça, aussi pacifiquement.
Le pays a complètement changé. Avant, les gens s'affairaient, le regard fuyant. Là, ils discutent, on sent de la gaîté.
Il n'y a plus ces photos de Ben Ali qui vous pistaient partout.