10 novembre 2010 par Eva Joly

OFRTP-FRANCE-EUROPENNES-JOLY-20090601« Remettre au centre de la politique la poursuite du bien commun », en finir avec une présidence « oublieuse de l’intérêt général et de la parole donnée » : les propositions d’Eva Joly, députée européenne Europe Ecologie pour changer de modèle de développement.


Les Roms. Les retraites. Les biens mal acquis. A priori rapprochés uniquement par les hasards du calendrier, ces trois dossiers sont bien plus liés qu’ils ne le paraissent à première vue. Chacun apporte une nouvelle illustration de ce que le sarkozysme est une idéologie en faillite, comme le modèle de développement qu’il prétend promouvoir.

Les Roms, d’abord. Le Président de la République a beau prétendre le contraire, il ne sort pas grandi de son bras de fer avec les institutions européennes. Parce que sa politique à l’égard de cette partie de la population est bel et bien honteuse et discriminatoire ; et parce que le discours ambiant qui l’englobe, celui sur les « Français d’origine étrangère » et leurs tares supposées, est contraire à l’idée même de vivre ensemble et aux principes qui fondent l’Union européenne. Que la Commission européenne se soit jusque-là abstenue de déclencher une procédure contre la France suite à l’engagement de celle-ci de modifier sa législation, ce qui ne préjuge absolument pas de ce qu’il adviendra ensuite et prouve bien qu’il y a un problème, n’y change absolument rien. La Commissaire Reding a d’ailleurs rappelé récemment qu’elle restait particulièrement vigilante.

Les retraites, ensuite. Celles-ci sont désormais « réformées », en dépit de l’opposition massive des citoyens à ces mesures. Alors qu’il s’agissait d’opérer de véritables choix de société, qui engageront le pays pour de très nombreuses années et ses habitants pour le reste de leurs vies, aucune place n’a été laissée au débat ni à la négociation. Pour peu qu’on fasse remarquer à M. Sarkozy que ses décisions sont synonymes d’un renforcement de l’injustice sociale, puisqu’elles ne frapperont pas les catégories les plus aisées, qu’elles mettront les catégories plus faibles encore plus sous pression et qu’elles toucheront beaucoup plus les femmes que les hommes, il balaie ces observations d’un revers de main et impose tout de même selon son bon plaisir.

Quant à l’affaire des « biens mal acquis », à propos de laquelle la Cour de Cassation vient de rendre une décision retentissante, elle démontre à quel point certaines paroles prononcées un soir, place de la Concorde, avaient peu de valeur. Loin de mettre fin à la Françafrique et de faciliter la lutte contre les dictatures et contre l’accaparement des ressources des pays du sud, M. Sarkozy a contribué à les renforcer. Alors que des dispositifs auraient pu être introduits dans la législation française pour faciliter la poursuite de Chefs d’Etats étrangers soupçonnés de corruption et de détournements de fonds massifs, rien n’a été fait jusque-là. Alors que le parquet de Paris aurait pu, sur la base du travail réalisé par la police et certaines ONG, ouvrir une véritable enquête sur l’origine de la richesse des familles Obiang, Bongo et Nguesso, il n’a eu de cesse de s’y opposer. Il a fallu que ce soit la plus haute juridiction du pays qui tranche, hier, en faveur de l’ouverture d’une instruction. Une décision dont tous ceux qui s’attachent à la poursuite de la vérité et d’une plus grande justice ne peuvent que se réjouir ! C’est un très grand progrès que la Cour de Cassation, les associations à l’origine de cette affaire et leurs avocats viennent de rendre possible. Qu’ils aient dû agir contre la volonté de l’exécutif est de l’ordre de l’insupportable.

La société rêvée de M. Sarkozy n’est ni humaniste, ni inclusive ; elle est clivée autant qu’elle est clivante. Sa politique est oublieuse de l’intérêt général et de la parole donnée. Elle ignore toute modestie et n’est que dogmatisme et passage en force. Quel dommage que M. Sarkozy lise beaucoup moins Albert Camus qu’il n’en cite le nom ! Il saurait dans le cas contraire que le démocrate est par essence « celui qui admet qu’un adversaire peut avoir raison, qui le laisse donc s’exprimer et qui accepte de réfléchir à ses arguments ». M. Sarkozy ne doute jamais, il dicte toujours ; il ne dialogue avec personne, il parle avec lui-même, et confond en permanence la simplicité et la vulgarité, la République et la monarchie républicaine, la démocratie et l’oligarchie. En outre, en dépit des grands discours qu’il affectionne quand il est à l’étranger, il reste aveugle au cours des événements. Le bouleversement que représente le carrefour de crises au centre duquel nous nous trouvons – crise politique, crise écologique, crise économique et sociale - est pourtant désormais évident.

Notre modèle de développement actuel, basé sur la consommation toujours plus importante des ressources naturelles alors que nous savons depuis Eratosthène que nous vivons sur une planète ronde, et donc limitée, arrive en fin de course. Un milliard de personnes souffrent de la faim. La France vient d’enregistrer une nouvelle hausse du chômage – qui touche désormais, toutes catégories confondues, près de 4 millions de personnes. L’Union européenne et les Etats-Unis subissent une dégradation générale de la condition sociale, et des déficits publics désormais abyssaux. Même la Chine est en réalité bien plus fragile qu’il n’y paraît, entre une révolte sociale qui gronde de plus en plus et des bulles spéculatives qui menacent d’éclater. Quant à la « croissance » que beaucoup continuent d’invoquer comme une idole, non seulement elle n’est absolument pas synonyme de mieux être social, mais sa sacralisation a des effets destructeurs sur notre environnement. D’autant que la seule chose capable de la faire repartir aujourd’hui semble être la succession d’accidents industriels et de catastrophes écologiques, comme celle que vient de connaître la Hongrie. Suite aux opérations de nettoyage, à l’achat de matériel, à la reconstruction de bâtiments rendus nécessaires par la coulée de boue toxique, le pays enregistrera en effet quelques "progrès" dans son PIB. Mais ses habitants n’y trouveront pas leur compte pour autant, avec la perte de nombreuses vies humaines, la destruction de la biodiversité et la stérilisation des terres pour plusieurs décennies !

Face à cet aveuglement il est de la responsabilité de l’opposition, et en particulier des écologistes, de convaincre qu’une autre approche de la chose publique est possible. Qu’un autre projet politique est à portée de main. Plusieurs initiatives récentes vont dans cette direction, au niveau européen comme au niveau national.

Au niveau européen, c’est par exemple le lancement de l’Appel pour un « Greenpeace de la finance », à l’initiative de l’eurodéputé Pascal Canfin, qui vise à renforcer le rôle de la société civile, des organisations non gouvernementales et des syndicats dans les débats sur le système financier. Il n’est pas tolérable que les seuls « conseillers extérieurs » qui aient accès à M. Barroso, à M. Sarkozy et à leurs équipes soient précisément les dirigeants des grandes banques bénéficiant des fonds publics, après avoir mis le public dans la situation que nous connaissons.

Au niveau national, ce sont les Etats généraux de l’emploi et de l’écologie organisés par Europe Ecologie pour réfléchir, sur le long terme et avec l’ensemble citoyens et des partenaires sociaux, à la meilleure façon de mettre en place la transformation écologique et sociale de l’économie.

Il s’agit de renouer avec l’intelligence collective et de remettre au centre de la politique la poursuite du bien commun. Il s’agit d’inventer de nouvelles régulations pour interdire la spéculation sur les matières premières et garantir un accès aux ressources naturelles qui soit équitable et équilibré, pour remettre le système financier au service de l’économie réelle, pour mieux partager le travail et les richesses et trouver de nouveaux rythmes de fonctionnement. Il s’agit d’enclencher le mouvement vers une économie qui respecte l’environnement dans toutes ses composantes pour mieux servir l’humain. Il s’agit de retrouver le sens du collectif tout en donnant enfin à chacune et à chacun la possibilité d’œuvrer à son propre projet de vie.

Prendre l’homme tel qu’il existe réellement, c’est-à-dire comme une partie intégrante de son environnement. Voir le monde tel qu’il est vraiment, c’est-à-dire comme un ensemble complexe, fragile et vivant. Remettre la politique à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter, c’est-à-dire au cœur de la société civile et du débat public. Ce sont là trois préalables nécessaires si nous voulons relever les défis qui se posent à nous et si nous voulons refaire une civilisation.Car c’est bien cela que nous avons à accomplir. Nous devons, aujourd’hui, refaire une civilisation.