Europe Ecologie : électorat volage, électorat stratège

Par Denis Pingaud
Vice-président exécutif d’OpinionWay, il est notamment l’auteur de L’effet Besancenot (Seuil, 2008), Les taupes et les éléphants (Hachette, 2004) et L’impossible défaite (Seuil, 2002).

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Ce fut d’abord un coup de bluff. Ce fut surtout un coup de génie. Si Europe Ecologie a confirmé ses succès électoraux, les ressorts de cet engouement sont moins connus. Denis Pingaud tente de les identifier : il montre que l’électorat d’Europe Ecologie est traversé par plusieurs lignes de fracture et qu’il est à la fois, et paradoxalement, volatil et stratège.

Quand se dessine, au printemps 2008, l’hypothèse d’un rassemblement des écologistes de toutes obédiences pour l’élection européenne de 2009, peu d’observateurs imaginent le séisme électoral qui va s’ensuivre. Ce coup de bluff repose sur trois hypothèses. Premièrement, les électeurs sont de plus en plus défiants vis-à-vis de l’offre classique structurée par un axe horizontal gauche-droite. Deuxièmement, la question écologique n’est plus perçue comme un enjeu complexe et lointain mais comme une urgence évidente et « impliquante ». Troisièmement, la question électorale n’est plus vécue en plein – je vote toujours pour mon camp – mais en creux – je sanctionne, scrutin après scrutin, les différents camps, y compris le mien.

Le tremblement électoral autour de Daniel Cohn-Bendit, se révèle finalement être un coup de génie politique.

Aujourd’hui, même si Europe Ecologie a confirmé le succès des élections européennes de 2009 aux dernières élections régionales, la fragilité de son électorat tient au fait qu’il s’agit d’un ensemble encore peu structuré. Denis Pringaud analyse l’éclectisme des électeurs d’Europe Ecologie et les différentes fractures qui les traversent, notamment dans leurs valeurs et leurs opinions sur les grands sujets d’actualité qui structurent le débat politique. Deux ans avant 2012, l’auteur s’interroge sur la capacité d’Europe Ecologie à transformer l’essai.


Morceaux choisis


"... le pari de parler d’Europe, alors que les élections intermédiaires sont toujours l’occasion de sanctionner plus ou moins le pouvoir en place, semble risqué aux experts des joutes électorales. Le Parti socialiste comme le Modem, qui sont de possibles réservoirs de voix pour le nouveau rassemblement des écologistes, ont d’ailleurs pris le parti de tirer sur Nicolas Sarkozy plutôt que de défendre un projet européen."

"Alors même qu’Europe Ecologie commence à exister sur un créneau qui peut se résumer dans la posture simple du slogan « L’écologie, maintenant ! », les débats qui structurent la préparation du congrès socialiste de Reims tournent essentiellement autour de la question des alliances possibles ou non avec le Modem. Une discussion qui n’intéresse guère une majorité du corps électoral pour laquelle les élites politiques susceptibles d’exercer le pouvoir – quel que soit leur bord – se ressemblent décidément beaucoup trop."

"...la question écologique n’est plus perçue comme un enjeu complexe et lointain mais comme une urgence évidente et « impliquante ». C’est un déplacement majeur qui – contrairement aux idées reçues – ne concerne pas que les « bobos » et que confirment toutes les études sur l’évolution des comportements, notamment en matière de gestes ou d’arbitrages micro-économiques liés à l’environnement. Les données d’opinion convergent pour placer la préoccupation écologique à un niveau toujours plus élevé, proche de celui qui concerne l’emploi, le pouvoir d’achat ou la santé."

"On ne comprendrait rien au succès d’Europe Ecologie si l’on sous-estimait, dans un contexte de déclin du sarkozysme, la force centripète du rassemblement des Verts et des associatifs, des ouistes et des nonistes, des démocrates centristes et des antilibéraux face aux divisions chroniques et aux egos erratiques qui minent les autres forces d’opposition, des antilibéraux jusqu’au Modem."

"Parallèlement, le rassemblement des écologistes attire de nouveaux électeurs qui avaient voté pour d’autres listes huit mois plus tôt, notamment le Modem, ou, tout simplement, s’étaient abstenus. Près d’un tiers des voix recueillies lors des élections régionales provient d’électeurs qui, neuf mois plus tôt, avaient fait un choix différent ou ne s’étaient pas rendus aux urnes."

"Deux électeurs écologistes sur cinq ne se classent pas « à gauche »"

"Les trois quarts des électeurs écologistes se déclaraient ainsi d’accord, à la veille des régionales, sur la stratégie de listes « autonomes » pratiquées dans toutes les régions par le nouveau mouvement, au grand dam parfois de certains élus locaux Verts peu enclins à troquer leurs avantages acquis contre les risques de primaires de premier tour."

"Appelé à se prononcer sur différents objectifs possibles pour le nouveau mouvement, à la veille des élections régionales, il citait d’abord le fait de « rester un réseau d’alerte et de mobilisation sur les grandes questions écologiques » avant même de « participer à une recomposition de l’opposition à Nicolas Sarkozy »19. Quant aux moyens pour parvenir à cette fin, il ne les voyait pas majoritairement dans la constitution d’une force politique avec les Verts : 61 % des électeurs écologistes imaginaient préférable « un mouvement autonome qui travaille avec différents partis » contre 30 % seulement qui souhaitaient « un nouveau parti avec les Verts »."

"L’électorat d’Europe Ecologie, parce que sa majorité reste méfiante vis-à-vis de la gauche, et parce qu’une forte minorité ne se reconnaît pas naturellement de ce côté-ci de l’échiquier politique, exprime-t-il ainsi son embarras devant les images et les propos répétés des dirigeants du mouvement qui assument une proximité manifeste avec le Parti socialiste et ses alliés dans l’actualité politique de ces derniers mois ?"

"Quatre blocs principaux apparaissent ainsi en concurrence pour la prochaine séquence électorale, dont le potentiel se situe entre 10 % et 25 % des suffrages exprimés au premier tour : le Parti socialiste, la gauche radicale, le Modem et Europe Ecologie. Ils poursuivent des ambitions à la fois communes – la volonté d’un changement de majorité lors de l’élection présidentielle de 2012 – et différentes – le style d’opposition à la majorité actuelle, la nature du projet politique, la vision d’un monde meilleur. Toute la question est de savoir, d’abord, si ces différents blocs seront en mesure de dépasser leurs différences et de conjuguer leurs forces pour obtenir des Français un mandat d’alternance. Et d’imaginer, ensuite, quelle pourrait être la stratégie électorale d’Europe Ecologie qui en constitue désormais l’un des plus imposants, le plus récent mais pas le moins attractif aux yeux de l’opinion."

"Aussi le score des écologistes en 2012 se construira-t-il d’abord sur la capacité du mouvement à illustrer une voie originale de sortie de crise. Un thème lui est propre et pourrait difficilement être préempté par les autres forces en lice : la réouverture « écologique » d’un avenir économique et social pour les générations futures... Le coup de génie politique d’Europe Ecologie deviendrait alors durable."